On a testé la course
cycliste amateurs
la plus difficile du monde

800 kilomètres, 21 000 mètres de dénivelé positif, 20 cols à franchir en sept jours. Voici le menu que proposait la Haute Route Alpes, du 22 au 28 août dernier. Considérée comme l'épreuve pour amateurs la plus difficile du monde, cette course cycliste qui reliait Megève à Nice via six étapes en ligne et un contre-la-montre (dans la mythique montée de l'Alpe d'Huez) a fêté sa dixième édition cette année.
La DH/Les Sports+ a eu l'occasion d'y prendre part. Lors d'une semaine que nous ne sommes pas prêts d'oublier. Et que nous vous détaillons au jour le jour.

Reid Moore

Reid Moore

"L'étape la plus facile"

De Megève à Megève. La première étape de la Haute Route Alpes est une boucle. Sur le papier, elle est considérée par tous comme "l'étape la plus facile". Des mots qui ont résonné dans notre tête toute la journée. Avec, au programme, le col des Aravis, le col de la Colombière, le col de Romme et la Côte 2000, cette mise en bouche peut avoir des effets indigestes sur les esprits plus intrépides. Conscients de la difficulté de la tâche qui nous attend, nous décidons d'y aller piano. Afin de ne pas entamer, déjà, nos réserves. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Entre le stress et la nervosité inhérentes à la première étape d'une course (une chute a même déjà lieu alors que le départ en peloton est neutralisé), le pied du col des Aravis est assez rapide. Et il est difficile de ne pas se prendre au jeu. Des battements de coeur un peu trop élévés nous rappelent à l'ordre. On décide alors de lever le pied. Une riche idée qui nous permet d'arriver au sommet du col de la Colombière avec un capital fraîcheur pas trop entamé. Mais la zone de plat qui mène au pied de la Côte 2000, avec un vent tout sauf favorable, ne nous permet pas de continuer à économiser des forces. Au contraire. Et les premières pentes, très raides, de la remontée de Cluses vers Megève piquent dans les cuisses. Une fois arrivé au sommet de la Côte 2000, après près de six heures 30 passées sur le vélo, on ne peut s'empêcher de repenser au fait qu'il s'agissait de "l'étape la plus facile". Et ce n'est pas forcément rassurant pour la suite.

Aussi beau que difficile

La première nuit est compliquée. Même si l’organisation de la Haute Route met tout en place pour faciliter un maximum la vie des coureurs (lunch et massage après les étapes, bagages transportés d’un hôtel à l’autre…), il n’est pas évident de trouver le sommeil malgré la fatigue. Notre taux d’adrénaline est aussi élevé que les sommets à franchir. Et ceux de la deuxième étape ne sont pas de tout repos. Col des Saisies, Cormet de Roselend et montée de Tignes. Le programme du jour est costaud. Et après un petit déjeuner copieux, un café s’impose avant le départ, histoire d’être directement dans le bain. Malgré ces précautions, nous commettons une erreur stratégique en nous arrêtant pour nous débarrasser de nos vêtements chauds avant la première zone chronométrée. Conséquence directe : le début de l’étape se fait depuis la… dernière position. Pas idéal mentalement. Pour se rassurer, on décide alors de forcer un peu sur les pédales pour regagner rapidement quelques positions. Pas évident physiquement. Et le ravitaillement du sommet de Saisies est le bienvenu. Bien manger et bien boire sont les maîtres mots de la semaine. "Et profiter", nous rabâche sans cesse les membres de l’organisation. On comprend le sens de leur remarque en atteignant le barrage de Roselend, qui nous en met plein les yeux par ses eaux magnifiques, dans un cadre idyllique. Les cuisses chauffent toujours mais nos yeux, eux, se régalent. Et ça aide à avancer. Une fois arrivé au sommet, le seul mot qui nous vienne en tête est "Magnifique". Mais la Haute Route, c’est aussi des montagnes russes d’émotions. Après ce moment sublime, le pied de la montée de Tignes est compliqué à appréhender. Les jambes tournent de moins en moins vite et l’arrivée est encore loin. Heureusement, nous ne sommes pas les seuls dans la situation. Et nous avons le plaisir de croiser Eric Enselme, qui participe à sa huitième Haute Route. Il nous ouvre sa boite à souvenirs durant plusieurs kilomètres, permettant aux secondes de s’égrainer plus rapidement. Et c’est avec un plaisir non dissimulé que nous apercevons l’arrivée, dans la splendide station de Tignes. Avant de passer à la soirée à se poser une seule et même question : comment va-t-on survivre à l’étape de demain ?

Le jour le plus long

Elle nous fait peur depuis plusieurs mois. Et là voilà. Elle, c’est l’étape reine de la Haute Route Alpes 2021. Pour cette édition anniversaire, les organisateurs ont voulu mettre les petits plats dans les grands. "C’est l’étape la plus longue et la plus difficile que la Haute Route n’ait jamais vue", explique Jean-François Alcan, le directeur de course, au départ. Pas forcément de quoi nous rassurer. Iseran, Télégraphe, Galibier et montée de Sarenne. 182 kilomètres pour un total de 4 500 mètres de dénivelé positif. Le défi est fou. Il le serait déjà pour une course d’un jour. Mais il l’est encore plus dans une course à étapes. Soucieux de ne pas répéter l’erreur de la veille, nous décidons de partir depuis le milieu du peloton, afin de monter l’Iseran bien entouré. Une tactique payante. Au sommet du plus haut col routier d’Europe (2770m), les têtes que nous apercevons au ravitaillement nous sont inconnues. Traduction : on roule avec des gens mieux classés que nous. Idéal avant d’entamer la descente de… 70 kilomètres, pense-t-on. Sauf que les rouleurs sont de sortie. Et qu’il est difficile de garder leur roue jusqu’au pied du Télégraphe. Après avoir fait l’effort à deux reprises pour recoller au groupe qui nous avait décramponné, on décide de terminer la descente (ou plutôt le faux plat descendant) sans forcer. Mais dès les premières pentes du Télégraphe, on se rend compte que le mal est fait. Et que la suite s’annonce compliquée. Car le Galibier se dresse déjà devant nous. Avant ses pentes vertigineuses. La montée se fait au mental et la vue du sommet est une délivrance. Mais il reste encore un col et pas le plus simple : celui de Sarenne. Moins connu que l’Alpe d’Huez, il mène pourtant au même endroit. Et comme si neuf kilomètres à 9 % ne suffisaient pas pour cloturer une journée de dix heures sur le vélo, un violent orage s’abat sur nous à six kilomètres de l’arrivée. L’heure qui suit fut l’une des plus pénibles de notre vie, en ce compris la transition non chronométrée de huit kilomètres vers notre hôtel. Mais le bain chaud qui a suivi fut aussi l’un des plus agréables jamais connu. Avec un sentiment d’accomplissement rarement atteint.

Cela valait le coup

L’étape 4 est la plus courte de la semaine. 15 kilomètres, sous la forme d’une contre-la-montre individuel. Une journée de récupération, à côté de l’étape de la veille. Sauf que ces 15 kilomètres ont lieu dans un cadre mythique : celui de l’Alpe d’Huez. Le col qui nous fait le plus rêver depuis notre enfance. La rampe de départ sur laquelle nous nous positionnons a des allures de Disneyland Paris pour nos yeux ébahis. Reste à savoir comment seront les jambes. Si elles sont aussi bonnes que la météo (une quinzaine de degrés et un agréable soleil), cela se passera bien. Si pas, il ne servira à rien de se faire mal. Emporté dans notre enthousiasme, on décide de débuter pied au plancher. Avec un rythme soutenu mais pas insoutenable, comme notre fréquence cardiaque nous l’indique. Dès les premières pentes, les concurrents partis avant nous (20 secondes par 20 secondes) se rapprochent de plus en plus de notre champ vision. Puis nous en dépassons un, puis deux, puis trois. Mentalement, l’effet est énorme. Chacun des 21 virages de ce col d’exception devient une occasion se se dresser sur les pédales et de relancer la machine. Encore traumatisées par la veille, les jambes répondent bien, comme si elles se réjouissaient d’en finir. Et le sentiment est grisant. L’un des meilleurs que nous ayons connus sur un vélo. La cadence est élevée, les coureurs qui nous précèdent continuent d’être avalés un à un et le dernier kilomètre se fait au sprint. Un plaisir intense qui nous arrache presque une larme tant l’émotion est grande. On aura connu beaucoup de moments compliqués, tant physiquement que mentalement, durant une semaine. Mais rien que pour les sensations connues dans l’Alpe d’Huez ce jour-là, cela valait le coup. Et l’après-midi de repos fut merveilleuse. Sur un petit nuage.

Court, stressant et intense

La cinquième étape est la plus courte étape en ligne de la Haute Route Alpes. 87 petits kilomètres. Mais près de 3 000 mètres de dénivelé positif quand même. Elle débute par la montée du Lautaret, très longue (près de 40 bornes) mais pas très pentue. Tout ce qu’on déteste. À tel point que le off day frappe à notre porte. Contrairement à la veille, les jambes ne répondent pas. Chaque coup de pédale est compliqué. Il est presque impossible d’accrocher la roue d’un autre participant et le mental fléchit. Après quelques minutes de pause pour se remettre la tête à l’endroit, le sommet du Lautaret est enfin en vue. Et là, surprise : une bonne centaine de participants sont présents au ravitaillement. Mais pas pour de bonnes raisons : la descente a été neutralisée suite à une grave chute. Trois coureurs ont été victimes d’une collision frontale avec une voiture dans un virage rapide. Le col est fermé à la circulation dans les deux sens, les hélicoptères médicaux s’affairent sur place et la tension est palpable dans le peloton car aucune nouvelle rassurante n’est communiquée. Ce sera finalement le cas une petite heure plus tard. Ouf. La course reprend, la descente se fait en convoi neutralisé et la montée du col du Granon est l’ultime ascension du jour. 10 kilomètres à 10 % de moyenne. On a eu beau s’être refait un peu la cerise durant la longue pause au sommet du Lautaret, les jambes sont en souffrance. D’autant que le soleil tape fort et que la température approche des 30 degrés. Maillot ouvert, les kilomètres s’égrainent à la vitesse de l’escargot mais le passage sur la ligne d’arrivée est un nouveau moment intense. Une nouvelle décharge d’émotions. Car il ne reste plus que deux étapes. Et plus que jamais, on se rapproche de cette médaille tant espérée, celle de Haute Route Finisher.

Si proche mais si loin...

Ne jamais avoir de certitudes. C’est bien la leçon principale que nous avons tirée de la Haute Route Alpes. La coup de mou guette et peut arriver à tout moment. Tout comme les moments de grâce. Et les deux peuvent même s’entremêler sur une étape. Ce fut le cas lors de la sixième étape, démarrée dans un froid de canard avant que le soleil ne perce et ne réchauffe le peloton. Longue de 140 kilomètres, elle peut être découpée en trois parties : un col de Vars escamoté sans souci, un col de la Bonette (qui culmine à 2802 mètres) grimpé par à-coup tant il était long et difficile. Puis une montée d’Auron, plus courte, qui fut notre meilleur moment de la journée. On s’est même permis d’accélérer le rythme à quatre kilomètres du sommet, histoire de profiter de ce trop rare momentum. Le passage sur la table de massage – et dans les mains expertes des kinés – fut tout de même bienvenu afin de garder quelques forces pour la septième et dernière étape. Et la soirée qui a suivi fut l’une des plus agréables. Conscients qu’ils sont proches d’atteindre l’objectif fixé depuis longtemps, les participants sont désormais détendus. L’ambiance est conviviale, les amitiés se sont créées et les éclats de rire sont perceptibles. À tel point que l’expérience humaine prend le pas sur l’expérience sportive. Et rend les choses encore plus marquantes.

Les larmes avant la médaille

Le dernier réveil est le plus difficile. Parce que plus les jours passent, plus la fatigue s’accumule et plus le corps a envie de dire stop. Il est 5h du matin et l’estomac aussi dit stop. Mais il faut se forcer car une journée sur le vélo sans déjeuner et c’est l’enfer assuré. Pour cette dernière étape, le mental est plus important que les jambes. Et c’est ce qui permet au vélo d’avancer dans le premier col de la journée, celui de Couillole. Un col magnifique sur des routes peu fréquentées. Le paradis du cycliste. Dans la foulée, les sept kilomètres du col de Saint-Raphaël et son bitume en parfait état sont avalés sans trop de souci, jusqu’à ce que notre genou dise stop. Traitée avec succès depuis le début de l’épreuve, notre tendinite au genou devient insupportable une fois le sommet franchi. Les 30 kilomètres de vallée qui séparent le col de Saint-Raphaël et le col de Vence, la dernière difficulté de la semaine, sont un supplice. Impossible de pédaler avec la jambe gauche. La douleur irradie jusqu’à la hanche. La jambe droite est donc la seule à pouvoir envoyer un peu de puissance. Et ça rend chaque kilomètre deux fois plus tard. Dépassés par de nombreux concurrents, on craque. Sur le bord de la route, les larmes montent et coulent. Il fallait que ça sorte. Mais pas question de lâcher maintenant. Au pied du col de Vence, on se dirige vers le médecin de la course, qui perçoit rapidement notre détresse. Un antidouleur avalé lors du dernier ravitaillement nous permet de terminer l’épreuve tant bien que mal, avec l’appui bienvenu de Peter, un concurrent hongrois rencontré durant la course. C’est avec lui que le sommet du col de Vence est franchi et que la descente (neutralisée) vers Nice se fait, avant l’arrivée officielle sur la Promenade des Anglais. Au moment de laquelle l’émotion est énorme. Indescriptible et démultipliée par la fatigue. On l’a fait. La médaille de finisher est autour de notre cou. Objectif atteint, défi réussi. À tous ceux qui l’ont rendu possible : merci.